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La justice américaine poursuit enfin l’un des assassins de Victor Jara, l’emblématique chanteur chilien, auteur du coup qui lui sera fatal en 1973.
Le chant du Rossignol ne s’est jamais tu. Du fond des vestiaires du Stade Chili de Santiago, Victor Jara rédige pourtant son ultime chanson. Les vers inachevés ne sont que douleur : « Nous sommes cinq mille ici (...) Qui souffrent la faim, le froid, la panique, la douleur / La pression morale, la terreur et la folie (...) Chant, tu résonnes si mal quand je dois chanter l’épouvante », parvient-il à rédiger sur un maigre bout de papier. Depuis le 11 septembre 1973, les rapaces du général Pinochet enserrent de leurs griffes la nation andine.
Le président Salvador Allende, artisan des mille jours de l’unité populaire, s’est donné la mort. Les démocrates, les progressistes, ceux-là même que les militaires qualifient de « subversifs », sont traqués jusque dans les moindres recoins du pays. Il ne doit rien subsister de l’espoir de la gauche, né trois ans plus tôt chez les femmes et les hommes des villes, des mines et des campagnes dont Victor Jara a narré, avec dignité, la grandeur.
L’égérie de la chanson populaire et engagée a été arrêté au lendemain du putsch alors qu’il participait à une assemblée générale au sein de l’université technique de l’État. Le communiste, compagnon de route du prix Nobel de littérature Pablo Neruda, est alors parqué dans l’emblématique enceinte sportive transformée en camp de concentration à ciel ouvert. Les gradés le reconnaissent. Ils vont faire de lui un bouc-émissaire, le symbole à abattre. Il est roué de coups. On lui écrase les mains, lui dont les doigts caressaient comme un amant heureux les cordes de sa fidèle guitare. On l’isole. Pour l’exemple.
Une quarantaine d’impacts sur le corps frêle de Victor Jara
Combien de balles faut-il pour achever un homme ? Une seule, paraît l’évidence. On retrouvera une quarantaine d’impacts sur le corps frêle de Victor Jara. Le coup de grâce, le 15 septembre, fut un tir dans sa nuque alors qu’il se trouvait à terre. Quarante ans plus tard, toute la lumière n’a pas été encore faite sur cet épisode tragique. Certes, les premiers procès de certains de ses bourreaux ont commencé à lever le voile. Mais dans ce Chili garrotté par le déni, où les jeunes générations réclament la dérogation de la Constitution héritée de Pinochet, personne ne se glorifie de la paternité de l’assassinat du troubadour chilien devenu une icône mondiale. On attend néanmoins que parle enfin celui qui l’a abattu comme on achève un chien. Un juge américain a donné suite aux interpellations des cours chiliennes, en poursuivant Pedro Barrientos, ex-colonel de l’armée chilienne, réfugié en 1989 aux États-Unis. Pays aux mains ensanglantées par les basses œuvres de la CIA qui a soigné de ses conseils les ignominies des généraux félons et de leurs sbires. En 1973, le Pedro Barrientos en question prêtait service au sein du régiment Tejas Verdes placé sous le commandement de Manuel Contreras, emblématique chef par la suite de la Dina, la sinistre police politique chargée d’exterminer les opposants à la dictature. Il est désormais poursuivi pour torture et assassinat sur plainte de la veuve du chanteur, la danseuse Joan, et de sa fille Amanda. L’homme nie tout devant la caméra du programme En la Mira de Chilevision. La justice chilienne, fébrile et timide, a pourtant émis un ordre d’arrêt international depuis trois ans. Barrientos déclare n’avoir jamais mis les pieds, à l’époque des faits, dans le stade national désormais baptisé Victor-Jara. Pis, ose-t-il, il « ne connaît pas Victor Jara ». Le barde, nommé ambassadeur culturel en 1971 par l’exécutif d’Allende du temps des réformes de justice sociale et de progrès, a pourtant déjà une réputation planétaire. L’auteur est un incontournable défenseur de l’ouvrier avec son Te recuerdo Amanda, pourfendeur de la bourgeoisie vivant dans Las casitas del barrio alto ou des poltrons incapables de choisir leur camp avec Ni chicha ni limona. Ses odes aux luttes estudiantines chiliennes et latino-américaines ou encore paysannes avec Movil oil special et Plegaria a un labrador sont des hymnes encore ancrés dans les mémoires du continent. Personne ne peut ignorer qui est Victor Jara tant il a incarné le Chili qui a lutté et qui a vibré. Pedro Barrientos devra parler. Il devra parler de « Cette morgue pleine de cadavres en pièces. Victor Jara est un de ces cadavres en pièces. Mon Dieu ! C’est comme tuer un Rossignol », avait dénoncé durant ces jours sombres Pablo Neruda. Dans ce Chili,
encore pétri d’impunité, où les près de 40 000 torturés et 4 000 morts ainsi que disparus attendent toujours justice et réparation, la vérité doit résonner. Comme la conscience de Victor Jara dont les chants et la mélodie parlent encore.
Robert Guédiguian, cinéaste. le rédacteur en chef d’un jour
Plus qu’une joie, un encouragement
Victor Jara est le nom que portait ma cellule du Parti communiste de l’Estaque… Quelle joie ce serait de voir ses assassins condamnés, même aussi longtemps après le crime. Plus qu’une joie, un encouragement à poursuivre nos combats, la preuve que les lendemains, même très lointains, existent.
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